Sonkyo

Réflexion de Nagao Susumu (Professeur, Université Meiji) publié dans la partie Kendo’s Not-so Common-sense de Kendo Nippon en Juillet 2010. Cet article fut ensuite traduit en anglais par Kendo World puis publié par Budo World en Février 2017.

Traduction en français : Fabien Rivaille Avril 2022

Pourquoi devons-nous faire sonkyo en kendo ?

En kendo, nous sommes tenus de faire sonkyo avant et après un tachiai (match) ainsi que pendant la pratique et cela se fait avec un arc. Quand cette tradition a-t-elle commencé ?

Dans le densho (documents écrits) de l’école d’escrime Katōda Shinkage-ryū, il y a des détails méticuleusement enregistrés des combats d’escrime qui ont eu lieu dans les derniers jours du shogunat Tokugawa. Un exemple très important est le densho appelé Kendō Shogaku Shūchi (1860). (Le professeur Murayama Kinji de l’Université de Shiga, a mené des recherches approfondies sur ce sujet.) Dans ce densho, il y a une partie concernant « l’étiquette orishiki ». Mon interprétation est que vous vous accroupissez avec les deux pieds formant un « T », comme un marteau en bois, avec la taille

positionnée directement au-dessus. Les jambes sont écartées et le genou gauche est posé sur le sol, le genou droit légèrement plus haut. Le regard est orienté droit devant et non vers le bas, la nuque érigée vers le haut et le dos droit avec les épaules détendues. Les fesses ne sont pas sorties et le bas-ventre est légèrement gonflé. Il est précisé qu’il est important d’être prêt mentalement lors de l’exécution de l’orishiki. En d’autres termes, préparez-vous à vaincre votre adversaire avant même que le match ne commence. Cela demande beaucoup de ressources et un entraînement intensif.

« Accroupissez-vous avec les pieds formant un « T » comme un marteau en bois, avec la taille positionnée directement au-dessus. » Cela ressemble à la position du sonkyo dans sa forme. Cependant, étant donné que le genou gauche touche le sol, il y a une légère différence entre cela et le sonkyo du kendo moderne. Le terme « orishiki » signifie avoir l’un des genoux touchant le sol et on le retrouve fréquemment dans des livres publiés entre la période pré-moderne et la période moderne en tant que technique de frappe en kendo. Un exemple est l’orishiki-kote, mentionné dans 68 Techniques de Kenjutsu. Dans des termes plus modernes, cela ressemble à un katsugi-kote avec le genou gauche au sol. (Ce terme apparaît également dans des livres tels que Chiba Shūsaku Sensei Jikiden Kenjutsu Meijin-hō du Hokushin Ittō-ryū.)

Dans le Kendō Shōgaku Shūchi mentionné ci-dessus, le paragraphe qui précède « l’étiquette orishiki » est intitulé « Comment se préparer avant les combats ». Il est écrit : « Au moment de faire l’orishiki, les principes de notre école (Katōda Shinkage-ryū) dictent que nous ne devons pas nous incliner. Pourtant, kakarite (l’attaquant) doit s’incliner devant les anciens avec un sentiment d’humilité et de gratitude pour les remercier d’avoir l’opportunité de pratiquer avec eux, les anciens devant répondre de la même façon. Cela donne le sentiment que les guerriers ne s’inclinaient pas lorsqu’ils s’entraînaient avec leurs pairs ou des pratiquants d’autres écoles, mais les origines de la tradition de l’inclinaison dans le kendo moderne remontent à cela. Dans le Chiba Shūsaku Sensei Jikiden Kenjutsu Meijin-hō, les séances d’entraînement du Jikishinkage-ryū sont décrites comme suit :

« L’escrime de l’école Jikishinkage-ryū est assez extrême et ils font l’orishiki ou kikyo à chaque match, et respirent profondément (cela pourrait faire référence à un autre kikyo, qui se prononce de la même façon mais qui utilise des caractères chinois différents, et signifiant s’accroupir avec les deux genoux au sol, avec le poids sur les malléoles et les fesses posées sur les talons). Une fois face à leur adversaire, ils se placent en garde jodan no kamae et sont prêts à frapper en ayant tout le temps une longueur d’avance sur leur adversaire. Lorsqu’ils se font face, si l’opposant se relève trop vite, ils l’arrêtent en disant « pas si rapidement », mais plutôt d’une manière qui ressemble au début d’un combat de sumo. La raison pour laquelle ils respirent profondément est qu’ils peuvent ralentir leur rythme cardiaque. »

Le sonkyo dans le kendo moderne semble être un vestige de la tradition de l’orishiki ou du kikyo (kiza) dans les écoles de sabre japonais de la période pré-moderne et transmis sous une forme légèrement différente. Il est peut-être devenu plus proche du sonkyo actuel (avec le pied droit positionné légèrement devant le gauche pour que le corps s’incline naturellement vers la gauche) et s’est généralisé avec la diffusion du « Dai-Nippon Teikoku Kendo Kata » (l’actuel « Nippon Kendo Kata ») de la période Taishō et du début de la période Showa. Au cours de ce processus, je crois que l’importance de « Comment battre votre adversaire avant même que le match ne commence en vous préparant mentalement » du Katōda Shinkage-ryū, ou « Comment ralentir votre rythme cardiaque » dans le Jikishinkage- ryū, se reflétait dans le sonkyo, l’orishiki ou le kikyo.

Le caractère chinois utilisé pour écrire « son » dans sonkyo signifie « s’accroupir », tout comme le caractère qui représente « kyo ». Sonkyo, lorsqu’il est utilisé en relation avec la cérémonie du thé, peut être lu comme « tsukubai » et il fait référence à un bassin en pierre qui est placé parterre à l’extérieur du salon de thé pour que les invités puissent se nettoyer les mains avant d’entrer. L’idée est la même que celle de purifier les mains et la bouche dans les sanctuaires. Lors de la cérémonie du thé, cependant, il faut s’accroupir pour atteindre le bassin. Il semble qu’en s’accroupissant et en étant près du sol alors qu’on se lave les mains, on est capable de se préparer mentalement et physiquement avant d’entrer dans l’espace particulier et sacré qu’est le salon de thé.

À en juger par cela, le sonkyo en kendo ou en sumo peut également avoir la même signification dans le sens où le pratiquant est sur le point d’entrer dans une zone particulière ou sacrée et d’avoir un match « pur » pour tester ses compétences. En effet, le sonkyo dans le sumo fait partie d’un rituel auquel les lutteurs se livrent après être entrés dans le cercle. De là, ils s’inclinent l’un et l’autre avec leurs doigts pointés vers le bas, frappent dans leurs mains, écartent leurs bras puis tournent leurs paumes vers le haut afin de prouver qu’ils ne portent aucune arme.

De plus, dans les entraînements de sumo, les lutteurs font le sonkyo au début du combat pour ralentir leur rythme cardiaque. Cela semble être lié à la méthode du Jikishinkage-ryū susmentionnée pour ralentir le rythme cardiaque. Pourquoi faire sonkyo au lieu de s’incliner debout? Peut-être savait-on par expérience que dans la position sonkyo, on pourrait être plus conscient de notre abdomen et des articulations, conduisant à une revitalisation du corps grâce à la respiration tanden.

Pour conclure, le sonkyo puise ses racines dans les traditions japonaises comme moyen de montrer du respect lorsqu’on entre dans un espace particulier ou sacré, ou comme moyen de contrôler sa respiration. La même chose peut être dite pour le kendo mais, additionné au fait qu’il a également une signification en tant que forme d’étiquette, il sert également de méthode d’entraînement mental dans lequel on cherche à gagner avant même le début du combat. Ces deux lignes de pensée trouvent leur origine dans le kenjutsu de la période pré-moderne.

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