La philosophie du kata

Extrait du livre de INOUE Yoshihiko, Kendo Hanshi 8ème Dan : « KENDO KATA : Essence and application ».

Traduit par Alexander Bennett, Docteur en sciences humaines et professeur à l’Université de culture et d’histoire japonaise du Kansai au Japon, Kendo kyoshi 7ème dan, puis édité par Kendo World Publications en 2003

Traduction française : Fabien RIVAILLE en Mai 2022

Je remercie chaleureusement le Dr Alexander Bennett d’avoir accepté que je diffuse cette traduction.

IPPON-ME à SANBON-ME

Avant de se plonger dans les explications et les subtilités de la mentalité qui est à la base du kendo kata, je pense qu’il est important de faire une différence entre le sport et le budo. Chaque fois qu’on me demande de donner une conférence sur le kendo, je commence toujours par demander aux participants : « le kendo est-il un sport ou un budo ? » Quand j’enseigne à des kendoka étrangers, ils me répondent généralement que c’est un budo. Je continue alors en demandant « Quelle est la différence entre le sport et le budo ? » Ce à quoi la réponse est principalement « les aspects spirituels sont différents ». Quand je persiste et demande « Quelle sont les différences entre les aspects spirituels du sport et celles dans le budo ? », les plaisanteries s’arrêtent généralement d’un coup.

Dans le monde du sport, il existe le concept d’ « esprit sportif », un état d’esprit qui encourage à se défier de façon honnête et franche tout en respectant les règles. C’est très proche de ce que le premier article du guide officiel Règles du Shiaï kendo présente lorsqu’il parle du « but des règlements est d’amener les compétiteurs à jouer franc jeu en shiai conformément aux principes du sabre… ».Est-ce si différent de ce fameux « esprit sportif » ? Beaucoup de personnes pourraient dire que la différence entre le sport et le budo réside dans « les principes du sabre. Cependant, respecter les principes du sabre peut être perçu comme étant équivalent à respecter les règles, un des prérequis de l’état d’esprit sportif, c’est pourquoi ce n’est pas un argument convaincant permettant de faire la différence. Si le but principal du Kendo n’était rien de plus que de gagner un shiai, l’essence même du kendo ne serait pas visible et se placerait donc quelque part dans le domaine du sport. Dans d’autres termes, si le pratiquant considère que la victoire en shiai est le but à atteindre, alors on parle de sport et il est difficile de le définir comme budo. Un regard sur le kendo kata, notamment le premier, offre quelques indices sur ce qu’est le réel objectif du kendo.

La compétition met l’accent sur le fait de remporter la victoire sur son adversaire et c’est d’ailleurs l’objectif principal. Dans le but de gagner, les techniques doivent être pratiquées et répétées sans relâche. La compétence technique force en effet l’admiration des autres mais, dans une idée plus large, il est difficile de trouver le lien entre une telle compétence technique et la contribution à faire évoluer la société.

Pour aller plus loin, « do » ou « voie » est considéré comme le cœur du kendo, mais pour atteindre cette voie, il faut d’abord en posséder les techniques de combat (jutsu). Dans ce sens, le shiai est plus une démonstration de jutsu que de do, mais c’est une étape nécessaire pour la compréhension de la vraie voie du kendo. C’est quelque chose que j’approfondirai dans l’analyse qui suit sur les kata. L’esprit sportif est « l’esprit de se mesurer à son adversaire avec une attitude de fair-play », alors que l’esprit du budo soutient l’idéal de « vivre et laisser vivre conformément à la vertu martiale au travers de l’absence de combat et de compétition. » Au regard de cela, dans les 2 premiers kata de kendo, chaque kenshi prend son sabre et fait la démonstration de ses qualités physiques et de son agilité acquises grâce à un entraînement incessant. Pour cela, ippon-me et nihon-me sont des kata très physiques/techniques par nature. D’un autre côté, sanbon-me aborde le côté métaphysique du kendo et présente une tentative de comprendre la voie et la vertu martiales mentionnées ci-dessus, l’idéal spirituel du kendo. Nakayama Hakudo, un maître de kendo très célèbre et également membre du comité qui définit les kata de kendo au début du XXème siècle, annonça qu’il y a 3 points spirituels principaux dans le kendo : « gi » droiture morale, « jin » compassion, « yu » valeur morale. Je crois que ippon-me est l’image du premier concept : « gi », la droiture morale.

IPPON-ME

« La sincérité est la voie pour accéder au paradis et avoir foi en la sincérité est la voie de l’humanité. » Comme il est indiqué dans l’une des descriptions originales du kendo kata « les deux prennent jodan et progressent avec assurance… ». Uchidachi et Shidachi prennent la garde jodan no kamae, la garde connue sous le nom de garde du ciel, avec la pointe du sabre pointant vers le haut. Cela signifie que chacun des 2 pratiquants est confiant dans ses convictions en prenant tous deux cette garde très puissante et aucun ne fait ni le bon ni le mauvais choix. Les deux sont sincères et cela annonce un affrontement inévitable d’une notion de dignité contre une autre. En théorie, la victoire sera à celui qui possède la meilleure technique et une meilleure compréhension du Shin-Ki-Ryoku-Itchi (union du mental, de l’esprit et de la technique). De ce fait, le premier kata du Kendo kata évoque la première étape dans la maîtrise de la voie du kendo, en cultivant la puissance technique ainsi que les compétences nécessaires pour renforcer ses propres convictions et sa droiture.

Le grand maître Yamaoka Tesshu dit un jour : « La voie pour maîtriser le kenjutsu est de maîtriser le sens de ji (technique) et ri (théorie). Ainsi, on trouvera la vérité par la réalisation des fonctions de l’esprit et du corps grâce à l’entraînement des techniques. De plus, si vous vous entraînez au-delà de toutes les limites perceptibles, vous cesserez de penser à ji et à ri. Pour atteindre cet état d’illumination, vous devez vous affiner, vous devez vous tempérer, rechercher la maîtrise en vous exposant corps et âme à une austérité insondable pendant de nombreux mois, voire des années et vous finirez par y arriver, comme le cours naturel de votre entraînement. Par exemple, tout comme le fait de pouvoir dire si l’eau est chaude ou froide en la buvant, vous ne pouvez connaître un tel état de conscience divin qu’en l’expérimentant (reidanjichi). Alors vous saurez la vraie signification de Muto-ryu, l’école de sabre sans sabre. »

Ainsi, le moyen de réussir à façonner la droiture morale est divisé en 4 étapes : étudier Ji, étudier Ri, étudier comment le Ji et le Ri sont les deux faces d’une même pièce. La dernière étape est d’étudier jusqu’au point où ce concept devient tellement associé qu’il n’a plus de place définie par rapport à l’autre.

Par conséquent, la première étape dans le kendo est d’affiner et tempérer son Soi, rechercher la maîtrise en s’exposant corps et âme à une austérité insondable, la capacité à sacrifier tout son être dans la coupe (sutemi no itto). C’est ce que représentent les cris « yaah » et « tou » dans ippon-me. En fait, le niveau de dévouement et de sacrifice mis en œuvre dans l’attaque et observé dans ippon-me constituerait en effet un point fantastique s’il était exécuté lors d’un shiai. En ce sens, si le shiai était pratiqué avec les idéaux mentionnés ci-dessus à l’esprit, alors la compétition serait en effet un grand avantage pour le kendoka pour trouver la vraie voie. Cependant, aussi lamentable que cela puisse être, il semble que de nombreux kendoka actuels accordent peu de sérieux à la véritable voie du kendo et à son potentiel humaniste, mais préfèrent concentrer uniquement leurs efforts sur l’apprentissage de la façon de vaincre leurs adversaires, par tous les moyens nécessaires, sans aucun autre intérêt que celui du goût sucré de la victoire. Cette remarque n’est pas uniquement applicable pour le kendo, mais également dans de nombreux autres arts budo ou bujutsu qui voient certains se concentrer principalement sur la technique et obtenir une certaine satisfaction personnelle grâce à la victoire plutôt que de se concentrer sur les capacités à forger le caractère, semblant être sans aucune intérêt. Tout ce qui se rattache à un « do » ne doit pas peser que sur les aspects techniques, mais également chercher à oublier l’esprit avec le corps afin que les deux forment une unité naturellement équilibrée et globale, élevant l’individu à un autre niveau de qualité humaniste. Ceci est le sens du « do ». Se concentrer uniquement sur la technique est une recherche purement sportive et si le kendoka ne se préoccupe que d’améliorer le waza pour améliorer les autres, et ne va pas chercher au-delà de ce point, cela devient un exercice purement égoïste. Peaufiner des compétences afin de donner force à sa propre notion de droiture morale ainsi que les motivations de l’effort doivent être la base du commencement de l’amélioration de soi afin d’apporter une contribution significative à la société.

Permettez-moi de développer ce point. Ce n’est que l’instinct primaire de l’Homme que d’essayer de survivre. Les bujutsu sont donc des techniques créées dans le but de se défendre et d’assurer sa survie. Le kanji pour « bu » dans « budo » est souvent interprété au Japon comme étant composé des composants hoko (lance) et tomeru (arrêt), signifiant ainsi arrêter de jouer. A l’inverse, cette interprétation diffère du sens original chinois où il signifie « arrêter les autres par l’usage de la lance ». En d’autres termes, il indique l’instinct animal des êtres humains qui est que les forts soumettent les faibles. Au cours de la période chaotique des provinces en guerre (XVème et XVIème siècle) de l’histoire japonaise, de nombreux seigneurs de guerre et leurs armées proclamèrent la justesse de leur cause alors qu’ils procédaient à la destruction de ceux qui tentaient de faire de même. La guerre signifie essentiellement tuer et c’est le sens de bu. Quelle que soit la raison de la cause qui nécessite la mort, on ne peut échapper au fait que tuer est mal. C’est pourquoi les bushis se sont tournés vers le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme, dans le but d’apaiser leur conscience. Ce qui résulta de l’intellectualisation des bushis, dont l’objectif était de trouver des moyens de faire face à leurs dilemmes moraux, fut la juxtaposition de « bun », ou lettres et « bu ». les bushis devinrent contraints d’embrasser la voie des mots autant que celle de la guerre. Il ne s’agissait pas de « la plume est plus puissante que l’épée », mais de « la plume et l’épée sont toutes puissantes ensemble ». Au cours des 300 ans de l’Ere Tokugawa (1603 – 1867), le Japon s’est isolé du reste du monde (sakoku) et, dans ce contexte, les arts militaires furent peaufinés et évoluèrent vers une forme japonaise unique mettant l’accent à la fois sur le bun et le bu comme les deux faces d’une même pièce, offrant ainsi la voie du développement personnel aujourd’hui connue sous le nom de budo.

Bon nombre des pionniers de ce modèle de développement étaient de grands guerriers qui avaient l’expérience de l’enfer de la guerre et du stress d’être confrontés au choix de tuer ou d’être tué. Ce qui était utilisé sur le champ de bataille de la période des Provinces en guerre était des techniques uniquement utilisées pour éradiquer les ennemis. Dans le cas de l’escrime, les techniques de mise à mort du kenjutsu évoluèrent vers la voie pacifique du kendo qui se concentre non pas sur la mise à mort mais sur le développement personnel.

L’influence du bouddhisme dans le budo ne peut être surestimée. L’un des idéaux centraux du bouddhisme est que toutes les créatures sont égales. Tout, depuis la fleur épanouie, les oiseaux, les chiens, les chats, etc., possède la même nature de bouddha. La force vitale contenue dans chaque être vivant est la même. Cependant, les humains doivent manger pour vivre. Même si les poissons, les animaux et les plantes ne sont pas sur cette terre dans le but d’être consommés par les humains, pour que les humains survivent, nous sommes obligés de prendre la vie d’autres êtres vivants. Cela signifie, d’un point de vue bouddhiste, que les humains commettent naturellement des offenses pour survivre et ont perpétuellement besoin de pénitence pour leurs péchés. Même dans les actions qui ne concernent pas le fait de se nourrir, quiconque qui fait quelque chose, même si c’est à bon escient, ne peut réussir à le faire sans commettre inévitablement quelque péché. Le problème est de savoir comment ce péché est traité. L’agresseur est-il repentant ? Ont-ils peur des conséquences ? Ces deux facteurs sont de la plus haute importance.

Hayashizaki Kansuke a dit un jour, à propos de l’attitude essentielle du « yaa » et du « tou » du premier kata : « même si votre ennemi est très mauvais, ne tirez pas votre sabre et ne laissez pas votre ennemi tirer le sien. Ne coupez pas et ne soyez pas coupé. Ne tuez pas et ne soyez pas tué. Aidez-les à se transformer en une bonne personne. S’ils ne s’y conforment toujours pas, alors envoyez-les dans l’autre monde. » Le « yaa » et le « tou » de ippon-me ne sont pas le résultat des soi-disant trois poisons (sandaku) du bouddhisme (haine, désir et ignorance), mais sont une expression d’une droiture contre une autre droiture. Cependant, le résultat est la mort pour le perdant de la rencontre et un tel meurtre est le plus grave des péchés cardinaux du bouddhisme. Ainsi, une pénitence sérieuse est requise. La pénitence est un moyen d’auto-assistance. La pénitence est donc le lien entre le frisson du combat et le frisson de la voie bouddhique. Ce n’est pas seulement une façon de s’aider soi-même, mais aussi d’aider les autres. Cela va encore plus loin dans la réparation des péchés commis. Au Kenjutsu, le vainqueur survit et le perdant est tué. Le vainqueur doit donc s’engager dans la pénitence pour le péché d’avoir pris la vie d’un autre. Cette repentance est le début de la métamorphose du kenjutsu en kendo.

Ainsi, dans le zanshin démontré dans ippon-me, non seulement doit-on supposer une image parfaite avec une conscience de la situation ne laissant aucune ouverture aux représailles, mais aussi, shidachi doit ressentir un sentiment de pénitence pour l’acte de prendre théoriquement la vie de un autre dans le choc du droit contre le droit. Ce sentiment de pénitence se confond avec le choix de la technique utilisée dans nihon-me.

NIHON-ME

« Uchidachi et Shidachi prennent la garde chudan… »

Lorsque le kendo kata a été conçu, il a été fondé sur la parti pris que le groupe de ippon-me à sanbon-me serait principalement destiné à l’enseignement dans les écoles alors que les kata à partir de yohon-me joueraient un rôle éducatif avancé pour le kendoka adulte. Ainsi, dans les trois premiers kata, jodan, chudan et gedan sont les termes utilisés pour décrire les différents kamae. Cependant, à partir de yohon-me, le terme seigan est utilisé pour désigner chudan. En fait, seigan a été utilisé jusqu’en 1981, lorsque le manuel d’instruction officiel des kata a été revu et, par la suite, seigan devint chudan. Il y a des différences fondamentales entre les deux kamae et cette fusion n’est pas sans problèmes car le terme seigan a un sens profond qui a prend plus d’importance à mesure que le kendoka avance dans la connaissance et l’expérience.

Hori Shohei écrit dans kendo no shintei « Il existe deux types de chudan no kamae trouvés dans le kendo kata. Ce sont le seigan et le chudan. Le seigan est légèrement plus haut et le chudan est légèrement plus bas. » De plus, le célèbre maître de kendo Saimura Goro explique le kendo kata dans son livre Shinsei Kendo Kyokasho de la manière suivante :

Cette explication démontre clairement qu’il y avait une distinction entre chudan et seigan. Il n’y a aucune explication à trouver concernant pourquoi seigan et chudan sont soudainement devenus une seule et même chose, il est donc probablement difficile pour les débutants de comprendre pleinement la signification. Dans les explications récentes du kendo kata, un point de discorde concernant le 6ème kata “roppon-me” a été abordé avec l’explication suivante : « Dans Roppon-me, Uchidachi et Shidachi se tiennent à neuf pas l’un de l’autre. Uchidachi n’est plus obligé d’abaisser légèrement le kensen de chudan pour contrer le gedan de shidachi ». Cette interprétation différente est évidemment due à la fusion de seigan et chudan. En d’autres termes, la fausse idée réside dans le fait qu’uchidachi n’ajuste pas chudan pour contrer le gedan de shidachi, mais que shidachi prend gedan pour contrecarrer le seigan d’uchidachi. Ce point de discorde semble contredire les concepts originaux derrière la formation du kendo kata et je suis d’avis qu’il faudrait faire de plus amples recherches sur ce sujet.

Le Comité Dai Nippon Teikoku Kendo Kata. Negishi Shingorō est assis à l'avant à droite avec Tsuji Shinpei (Shingyoto Ryu) à côté de lui. Au fond de droite à gauche : Takano Sasaburo (Itto Ryu), Monna Tadashi (Hokushin Itto Ryu) et Naito Takaharu (Hokushin Itto Ryu). La photo date de 1912

Il n’y a aucune mention réelle de l’endroit où le kensen devrait être positionné dans la garde chudan originale, mais il y a un rapport officiel intéressant du procès-verbal d’une discussion concernant l’ébauche finale du kata sus-mentionné.

Membre du comité Yano : « Il est dit que « les deux prendrons chudan et progresseront jusqu’à ce qu’ils se rencontrent au bon maai…”, mais il existe deux types de chudan dans lesquels le kensen est soit haut soit bas. Quel chudan est concerné ici? Le haut ou le bas ? »

Responsable en chef Negishi : « Il est correct de positionner le kensen à hauteur de poitrine de l’adversaire. »

Yano : « S’il s’agit de la manière officielle de procéder, cela doit être clairement indiqué comme tel. »

Negishi : « Évidemment, cela varie d’une personne à l’autre, mais comme c’est la norme de positionner le kensen à hauteur de poitrine, je ne vois aucune raison d’en faire un problème et de le clarifier davantage. »

Membre du comité Nakayama : « Je suis d’accord. Naturellement, il y aura des variations dans le positionnement du kensen en chudan, mais cela dépend de la situation en cours, tout comme c’est le cas avec les variations de techniques pendant le combat. »

Le président conclura qu’en raison de la majorité favorable, l’ébauche restera inchangée sur ce point.

Ainsi, les pouvoirs en place ont décidé que le kensen devait être officiellement positionné à hauteur de poitrine. Cependant, il existe des explications officielles de kata en circulation qui stipulent que la hauteur du kensen dans le chudan doit être à la hauteur de la gorge. Encore une fois, une question qui doit être étudiée.

La raison pour laquelle j’ai passé autant de temps sur la question de seigan est à cause de la signification religieuse du mot. Seigan dispose de nombreux kanji différents qui pourraient être utilisés pour l’écrire. Les caractères les plus couramment utilisés peuvent être littéralement traduits par “œil droit/correct”. Le mot clé est « œil ». Bien sûr, les êtres humains utilisent leurs yeux pour regarder les choses. Or, dans l’Inde ancienne, selon la tradition bouddhique, le mot regarder impliquait non seulement l’action physique, mais aussi savoir, écouter et comprendre. Conformément à cette interprétation, il existe un concept de go-gen, ou les cinq sortes d’yeux (« gan » peut aussi être lu comme « gen »).

  1. L’œil de ceux qui ont un corps matériel (niku-gen)
  2. L’œil divin des êtres célestes dans le monde des formes (ten-gen)
  3. L’œil de la sagesse par lequel les deux véhicules observent la pensée de la non-substantialité (ji-gen)
  4. L’œil de la loi par lequel les bodhistattvas perçoivent tout enseignement afin de conduire les êtres humains à l’illumination (ho-gen)
  5. L’œil du Bouddha, les quatre types d’yeux, énumérés ci-dessus, existant dans le corps du Bouddha (butsugen)

Le « gan » dans seigan correspond à ces 5 « gen » et c’est un point très important concernant le véritable sens psychologique derrière le kamae. Il représente la croyance de Bouddha selon laquelle la nature de Bouddha (cœur droit) est propre à tous les humains.

Dans nihon-me, uchidachi et shidachi se font chacun face en garde chudan. Le mouvement réel dans le kata lui-même, d’un simple coup d’œil, ne semble pas si difficile à faire, même pour les débutants. Cependant, compte tenu de la signification susmentionnée qui se cache derrière le chudan/seigan kamae, il est très important que le kamae soit fait correctement. C’est ce qui fait du chudan la garde d’attaque/défense la plus élémentaire du kendo et le nihon-me représente l’étape du kendo où le kenjutsu fait liaison avec le kendo.

Uchidachi crie « yaa » en avançant pour détruire shidachi et lui couper le poignet. Shidachi, cependant, garde le contrôle et s’écarte rapidement en reculant en diagonale vers la gauche. Selon la description officielle, shidachi recule en diagonale vers la gauche à partir du pied gauche (le pied droit suivant instantanément) tout en laissant tomber le katana dans la zone du demi-cercle inferieur de uchidachi. Ensuite, faites un grand pas en avant du pied droit et frappez le poignet (kote) droit. C’est l’acte de frapper kote qui révèle l’esprit de seigan no kamae, l’esprit de jin ou sympathie/compassion. En d’autres termes, si on compare ippon-me avec nihon-me, les situations et la distance (maai) sont pratiquement identiques et il serait facile pour shidachi de donner le coup de grâce et ainsi tuer uchidachi. Au lieu de cela, shidachi prend l’option kote et, bien que la capacité à combattre de uchidachi n’existe plus, ce dernier n’est pas tué sur le coup. C’est en cela que réside le sens de la phrase de Hayashizaki Kansuke « ne tue pas et ne te fais pas tuer ». Ippon-me est une démonstration de l’habileté technique et de la conviction de tuer ou d’être tué pour ce que l’on croit être juste. Nihon-me a la même conviction, mais est plus avancé dans le sens où l’objectif est atteint avec plus de retenue, en utilisant juste assez de compétence technique sans excès. C’est le début du « butoku » ou vertue martiale. Kaibara Ekken, un célèbre érudit confucéen de la période Edo a dit un jour que « le bugei (arts martiaux) est accompli grâce à la bravoure d’hommes ordinaires, mais le vrai budo n’est découvert que par la noble voie de la vertu martiale ». Ainsi, ippon-me, représenté par « gi » ou droiture morale, est la voie des Hommes. Nihon-me, représenté par « jin » (compassion), est la voie du cœur des Hommes. Ceci est porté à un autre niveau dans sanbon-me avec le concept de « yu » ou valeur morale.

SANBON-ME

La technique utilisée dans sanbon-me est le tsuki, mais personne n’est tsuki-é à mort. Ni uchidachi ni shidachi ne sont touchés ou blessés de quelque manière que ce soit, et si cela se produisait lors d’un shiai, les arbitres n’auraient d’autre choix que de déclarer un match nul. Cependant, shidachi est celui qui finit par prendre le contrôle et fait littéralement voir la mort à uchidachi alors que son kensen est placé juste entre ses yeux. Un faux mouvement entraînerait une mort instantanée. Cette situation va au-delà d’une situation gagnant/perdant. En fait, c’est l’ultime vérité du kendo. Un vieil adage confucéen dit « Rien n’est plus déchirant que le dernier chant d’un oiseau. Rien n’est plus juste que les derniers mots d’un homme ». Dans sanbon-me, Uchidachi fait face à la mort et ce moment est le jugement suprême. Shidachi a le pouvoir de se débarrasser simplement de uchidachi, mais fait preuve d’une valeur morale incroyable en ne touchant même pas la chair. Le kensen de Shidachi offre à Uchidachi la chance de pouvoir réfléchir sur le sens de la vie, une appréciation transcendante que tous les êtres vivants ressentent lorsqu’ils sont sur le point de périr, tandis que toute arrogance est supprimée de cette existence capricieuse et Uchidachi en est réduit à la forme de vie la plus humble et la plus honnête. Après cette période de réflexion instantanée et inspirante, chacun reprend chudan et revient à son point de départ. Tous deux ont été éclairés par cette expérience et, à mesure qu’ils reculent, un serment tacite est fait de respecter la vie et de la vivre pleinement, en aidant les autres à faire de même. Une telle valeur morale est respectée par tout le monde et a le pouvoir à la fois de pacifier et d’encourager. C’est le véritable objectif de la voie du kendo.

YOHON-ME à NANAHON-ME

Selon l’explication originale du kata, « dans yohon-me, les deux côtés avancent l’un vers l’autre en prenant les kamae Yin et Yang… » (yin yang = in’yo ). Ainsi, les kata numéros quatre, cinq et six peuvent être expliqués en utilisant la théorie du yin yang. Ceci est basé sur le parti pris que l’univers naît de l’interaction du yin et du yang, accompagnée de la théorie des 5 phases (Japon : go-gyo - c’est-à-dire : bois, feu, terre, métal et eau). Ces cinq phases ou éléments doivent être compris comme des forces abstraites qui déterminent le cours de l’univers. La théorie du yin-yang et des cinq phases sont connues ensemble en japonais sous le nom de in’yo go-gyo-setsu (Chine : Yin-Yang Wu-Hsing). Les kata susmentionnés sont une représentation de ces anciennes théories cosmologiques. Cela dit, il existe un certain nombre d’interprétations différentes de la théorie in’yo go-gyo, et pour éviter toute confusion, je vais essayer de clarifier ces différences.

In’yo go-gyo peut être divisé en trois théories générales différentes. Ce sont la « théorie de la production mutuelle », la « théorie du dépassement mutuel » et la « théorie centrée sur la Terre ». Toutes ces théories ont été utilisées d’une manière ou d’une autre par les écoles martiales traditionnelles au Japon. Si telle ou telle garde était yin dans une école, la même pouvait être considérée yang dans une autre, selon l’interprétation que ce style utilisait comme base pour sa théorie militaire. En fait, il existe tellement de variantes des théories du yin et du yang que, dans de nombreux cas, il est difficile de clarifier ce qui constitue réellement la base du kendo kata. Quelles que soient les difficultés rencontrées, il est important de persévérer et d’essayer d’établir ce qui est à la base philosophique du kata de peur que ses aspects spirituels ne soient abandonnés pour la forme uniquement.

Théorie IN’YO GO GYO (Yin-Yang Wu-Hsing)

À l’origine, Yin-Yang et Wu-Hsing (cinq éléments ou phases) étaient des théories sans aucun lien. Depuis les temps anciens, il y avait une tendance en Chine à considérer les phénomènes comme fonctionnant en dualité. Yin et Yang ont apparemment été les premiers termes à être utilisés pour créer une catégorie d’ordre dans un sens abstrait et philosophique. Les systèmes catégoriques séparés du Yin-Yang et du Wu-Hsing ont été combinés, systématisés et amplifiés pendant la période des Royaumes combattants (403 - 221), en particulier sous l’influence de Tsou Yen (IVème siècle avant notre ère).

Le Yin et le Yang sont les deux énergies polaires qui, par leur fluctuation et leur interaction, sont à la base de l’univers. Une grande variété de phénomènes dualistes ont été caractérisés en termes de Yin et de Yang : À l’origine, le mot yin désignait le côté nord d’une montagne faisant face au soleil, tandis que yang désignait le côté faisant face au soleil. Ensuite, il en est venu à désigner des aspects doubles de l’univers tels que le ciel et la terre, le jour et la nuit, le froid et le chaud, l’homme et la femme, etc.

Les cinq phases ont commencé comme une ligne de pensée individuelle. Les phases (bois, feu, terre, métal et eau) sont des paradigmes ou des analogies pour des modes de comportement spécifiques. Ceux-ci ont été combinés avec le système catégorique du yin et du yang. Les cinq phases étaient considérées comme se déplaçant à travers des cycles de succession réguliers et prévisibles à la fois dans l’espace et dans le temps. Le yin et le yang étaient deux énergies polaires qui, par leur fluctuation et leur interaction, créèrent l’univers. Le yang contient le yin, le yin contient le yang et sont la base des dix mille choses (wan-wu). Parfois, le yang apparaîtra et, à d’autres moments, le yin émergera. Cette manifestation de tous les phénomènes est considérée comme un processus cyclique, une naissance et une disparition sans fin, et un tout, en atteignant son stade extrême, se transforme en son contraire. la caractéristique commune sous-jacente du yin et du yang consiste donc à susciter ce changement continu. Par exemple, la lumière des bougies pendant la journée est yin, mais serait yang durant la nuit.

Comme je l’ai rappelé, malgré le fait qu’il existe un certain nombre de théories des cinq phases du yin et du yang, les plus représentatives sont : la « théorie de la terre comme élément central », la « théorie du dépassement mutuel » et la « théorie de la production mutuelle ».

Théorie de la terre comme élément central

  • Yang :
    • bois, Est, printemps, matin, vert, Seiryu le dieu dragon de l’Est
    • feu, Sud, été, journée, rouge, Shujaku le dieu oiseau vermillon du Sud.
  • Terre :
    • centre, jaune, Kiryu le dieu dragon jaune du centre.
  • Yin :
    • métal, Ouest, automne, soirée, blanc, Byakko le dieu tigre blanc de l’Ouest
    • Eau, Nord, hiver, nuit, noir, Genbu le dieu serpent enroulé du Nord

Il existe une explication intéressante assimilant cette théorie au mouvement du soleil :

« Le matin, le soleil apparaît au-dessus de l’horizon à l’Est. C’est comme la naissance du soleil. Ainsi, l’Est est la direction du lever du soleil, mais elle est aussi la direction de la vie et du printemps, ainsi que la phase du bois. Ensuite, le soleil monte dans le ciel jusqu’à son point le plus élevé qui est la position la plus centrale. Ce point culminant est appelé Sud et est représenté par la direction Sud. À ce stade, le soleil est le plus ardent et est la direction de la vigueur et de l’été et la phase qui le régit est le feu. Depuis ce sommet, le soleil voyage vers l’Ouest et redescend vers l’horizon. L’Ouest est la direction de la vieillesse et de l’automne et est régi par la phase du métal. Le soleil tombe ensuite sous l’horizon et la chaleur disparaît alors que le monde plonge dans l’obscurité. La direction devient le Nord et la phase est l’eau. C’est la direction de la mort et de l’hiver ».

Le célèbre moine Zen Takuan a proposé une explication simple de la théorie yin-yang wu-hsing.

« Yin. Lorsque les choses en mouvement s’arrêtent, cela s’appelle yin. Yang. Lorsque le yin recommence à bouger, cela s’appelle le yang. Lorsque le yang s’immobilise, il redevient yin et ainsi de suite. Tout dans l’univers découle de l’interaction entre le yin et le yang. Même s’il existe les deux termes yin et yang, ils sont inextricablement liés en une seule entité, comme l’eau et les vagues.

Les cinq phases du bois, du feu, de la terre, du métal et de l’eau sont combinées avec le yin et le yang. Le bois et le feu sont classés comme yang. Le bois vient du printemps et le feu vient de l’été. Au printemps, le yang prend de l’ampleur.

Le métal et l’eau sont tous deux yin. Nous ressentons l’énergie positive de la montée du yang au printemps. Cette positivité dure tout l’été, mais commence à décliner à l’automne. Les fleurs fleurissent au sommet des plantes au printemps, mais retombent aux racines en automne. Le soleil et la lune montent dans le ciel et descendent à l’ouest. Même les poissons nagent en amont au printemps et en été, mais reviennent en aval en automne et en hiver. Le yang de feu de l’été se transforme en métal à l’automne. Les choses lourdes cherchent à descendre. Les choses associées au yang sont invariablement légères et montent donc vers le haut. Plus elles s’élèvent, plus elles deviennent complètement développées et donc plus lourdes, ce qui conduit à une éventuelle descente. Au fur et à mesure que les gens vieillissent, leur poids augmente également et, dans leur “automne”, ils finissent par posséder les qualités de la phase métallique.

Au fur et à mesure que les feuilles sèchent et meurent sur les branches, elles tombent jusqu’à la racine de l’arbre. Au fur et à mesure que la positivité perd de sa vigueur et s’immobilise, elle devient l’hiver et la phase de l’eau. L’eau coule et se forme dans une piscine ou une flaque d’eau. Le printemps est la saison des pourritures du bois qu’il transforme en terre. Ainsi, les 18 derniers jours du printemps se transforment en phase terrestre. L’automne est régi par la phase métallique. Comme le métal finit par rouiller et se transformer en terre, les dix-huit derniers jours de l’automne deviennent également régis par la phase terrestre. Toutes les quatre phases du bois, du feu, du métal et de l’eau proviennent de la terre. Naturellement, les arbres poussent dans la terre. Aussi, comme le bois est nécessaire pour le feu, on pourrait dire que le feu est né de la terre. Les grandes montagnes Fuji et Asama en ont cinq jaillissant de l’intérieur de la terre et des rochers. Le métal et l’eau viennent aussi de la terre. En ce qui concerne les quatre saisons de l’année, la terre gouverne quatre périodes pendant dix-huit jours à la fin de chaque saison, soit un total de soixante-douze jours. Le bois, le feu, le métal et l’eau régissent également soixante-douze jours chacun, soit un total de 360 ​​jours. »

En outre, les Cinq Vertus Constantes (gojo) du cœur humain (jin), de la droiture morale (gi), de la bienséance (rei), de la sagesse (chi) et de la bonne foi/fiabilité (shin) sont associées à la théorie des cinq phases du Yin-yang. Ceux-ci sont même représentés par les cinq plis du hakama. Cela peut à son tour être assimilé aux cinq kamae trouvés dans le kendo.

  • Jin – Bois – Printemps – Hasso

  • Gi – Metal – Automne – Wakigamae

  • Rei – Eau – Hiver – Gedan

  • Chi – Feu – Eté – Jodan

  • Shin – Terre – Intersaisons – Chudan

    Théorie du dépassement mutuel (Sokatsu Setsu)

Le philosophe chinois Tsou Yen (305 - 240 avant notre ère) a conçu la théorie du dépassement mutuel. Cette théorie oppose essentiellement les qualités destructrices des cinq phases les unes contre les autres : le bois sur la terre, l’eau sur le feu, le feu sur le métal, le métal sur le bois etc…

Théorie de la production mutuelle (Sosho Setsu)

Tung Chung-shu (179? - 104? BCE) était le principal défenseur de cette théorie où les cinq phases se donnaient continuellement naissance les unes aux autres, plutôt que de causer la destruction comme dans la théorie du dépassement mutuel. Le bois donne naissance au feu, le feu donne naissance à la terre, la terre donne naissance au métal, le métal donne naissance à l’eau, l’eau donne naissance au feu etc…

Ici, j’ai donné un aperçu basique des théories compliquées du yin-yang et des cinq phases. Ces philosophies remontent littéralement à des milliers d’années et ont été constamment modifiées au fil du temps, ce qui rend difficile en effet de suivre les développements et de discerner quelle théorie est venue d’où. Cependant, si, comme il est indiqué dans la première explication officielle du kata de kendo, « au numéro quatre, les deux côtés avancent l’un vers l’autre après avoir pris les kamae Yin et Yang », nous n’avons d’autre choix que d’essayer de clarifier le vrai sens derrière ses origines.

Selon les trois approches différentes du yin-yang et les cinq phases que je viens de mettre en ligne, hasso no kamae est du bois - sombre dans la lumière et wakigamae est du métal - illuminé dans l’obscurité.

Mais est-ce vraiment si simple?

Dans l’école de sabre itto-ryu, l’univers est divisé en trois royaumes : le ciel, la terre et l’homme. Tout kamae dans cette tradition où le kissaki pointe vers le ciel (jodan) est considéré comme yang. Lorsque le kissaki pointe vers la terre (gedan), c’est yin. Lorsque le kissaki pointe vers la personne (chudan), on parle de yin dans le yang ou de yang dans le yin. Dans l’école traditionnelle Jikishinkage-ryu, les kamae où le kissaki est au-dessus de la taille étaient considérés comme yin et en dessous de la taille, yang. Cela ferait du hasso yin et du wakigamae yang.

Lorsque les kata de kendo furent formulés, il a été décidé que le hasso utilisé dans les nouvelles formes n’appartenait à aucune école traditionnelle en particulier. Cependant, le hasso, utilisé dans le premier kata du Keishi-ryu (le style martial spécial de la police), venait du Jikishinkage-ryu. Ce hasso est similaire au hasso du kendo kata en ce que le kissaki pointe derrière la tête, il est donc juste de supposer que le kata de kendo nouvellement formulé a été fortement influencé par le Jikishinkage-ryu. Cependant, si nous utilisons une théorie différente comme base de réflexion, jodan, chudan et gedan pourraient alors être expliqués en utilisant le concept de l’école itto-ryu du ciel, de la terre et de l’homme, mais nous ne pourrions pas supposer que hasso est yin (bois), et que wakigamae est yang ( métal).

Ensuite, je voudrais jeter un œil au mot « hasso ». Comme je l’ai mentionné, lors de la formulation du kendo kata, il était stipulé que le hasso no kamae ne provenait d’aucun style traditionnel en particulier, mais était une nouvelle création. Cependant, cela ne faisait référence qu’à son apparence. Le mot hasso, similaire à seigan (voir la section ippon-me à sanbon-me), a en réalité ses racines dans le bouddhisme. De nombreuses terminologies utilisées dans le kenjutsu proviennent du bouddhisme et font référence à une illumination opportune. Hasso est aussi un de ces mots. Dans la pensée bouddhiste, hasso fait référence aux huit événements de la vie d’un bouddha : descendre du ciel, entrer dans le corps de sa mère, sortir du corps de sa mère, quitter la maison, soumettre les démons, atteindre l’illumination en faisant tourner la roue de la loi et entrer dans le parinirvâna. En ce qui concerne le sabre, hasso représente les huit directions de coupe, verticale, horizontale et diagonale.

Dans le kendo kata, on voit que hasso est opposé à wakigamae dans yohon-me, jodan contre chudan dans gohon-me et chudan contre gedan dans roppon-me. En appliquant ces combinaisons aux cinq phases du yin et du yang, nous voyons que des trois théories les plus représentatives, la théorie de la terre au centre, la théorie du dépassement mutuel et la théorie de la production mutuelle, la théorie du dépassement mutuel est la plus applicable.

Yohon-me

Uchidachi – hasso (bois)

Shidachi – wakigamae (métal)

Métal bat le bois

Gohon-me

Uchidachi – jodan (feu)

Shidachi – chudan (eau)

L’eau bat le feu.

Roppon-me

Uchidachi – chudan (eau)

Shidachi – gedan (terre)

La terre bat l’eau.

Uchidachi prend alors la garde jodan (feu) et shidachi, chudan (eau). L’eau bat le feu.

Les théories des cinq phases du yin et du yang ont leur base dans les phénomènes naturels et la propagation de ces théories, au cours de nombreux siècles, a eu un profond effet sur la culture japonaise. De nos jours, de telles philosophies cèdent la place à la science et à la technologie modernes. Les anciennes connaissances prennent leur place sur la banquette arrière et finissent par tomber dans une obscurité totale. Indépendamment des merveilles de la science moderne et des explications scientifiques modernes de l’univers, il est important de ne pas oublier ou négliger la sagesse des anciens. Une telle sagesse peut être trouvée sous une forme dans le kendo kata, si les pratiquants prennent la peine de regarder. Cela en fait une ressource précieuse qui mérite plus d’attention.

NANAHON-ME

Le Kendo pratiqué selon les principes du sabre (ken no riho) se veut être un moyen de développement du caractère, tant au niveau personnel que sociétal. En fin de compte, l’objectif est l’harmonie à tous les niveaux. Cet idéal a d’abord été exprimé par écrit au Japon par Shotoko Taishi (574 - 622), un homme d’État de la période Asuka (593 - 710), le deuxième fils de l’empereur Yomei ( 585 - 587). Le prince Shotoku a institué la Constitution en dix-sept articles en 604 pour renforcer l’autorité impériale. La Constitution en dix-sept articles est un ensemble d’injonctions morales basées sur les doctrines confucéennes et bouddhistes pour exhorter les fonctionnaires du gouvernement à travailler en harmonie pour le bien du gouvernement central. Dans l’article 1 de la Constitution, il commence par dire « L’harmonie doit être chérie et l’opposition pour l’opposition doit être évitée par principe ». Je crois que c’est la philosophie qui est au cœur du nanahon-me du kendo kata.

(NDLR : Uchidachi & Shidachi – chudan (eau)

Puis Uchidachi – jodan (feu) avec le Shomen

Shidachi – chudan (eau) avec la découpe à la poitrine

L’eau bat le feu.)

En fait, les kata que j’ai examinés indiquent tous qu’ils sont des manifestations de l’esprit ou des idéaux du kendo. Ces idéaux élèvent le kendo bien au-dessus du simple domaine des techniques pour juste tuer ou gagner mais sont conçus comme un moyen de nous améliorer et démontrer le fonctionnement de l’univers, tout comme notre position à l’intérieur de celui-ci ou faisant partie intégrante de ce dernier. Les kata nous montrent différentes façons d’atteindre l’amélioration de soi et de nombreux indices se situent dans le fonctionnement des kata et kamae. Ces indices peuvent être difficiles à déchiffrer, mais il est important de prendre l’entraînement au kata au sérieux, pour le moyen de développement personnel et pour le fait de puiser dans la sagesse des anciens qui a été pratiquement oubliée.

KODACHI NO KATA

Maintenant, je voudrais examiner deux principes qui sont à la base de l’ensemble de kodachi no kata. Il y a un dicton au Japon chotan-ichimi (cho = long, tan = court, ichimi = un seul groupe ou paquet) qui se traduit par long et court, même principe. En d’autres termes, les avantages et des inconvénients de quelque chose font partie d’un tout. Cette philosophie peut être appliquée, au sens propre et au sens figuré, aux trois derniers kata de kendo qui utilisent le kodachi ou sabre court contre le tachi. En atteignant un certain niveau de maîtrise en kendo, on se rend compte qu’un long sabre possède à la fois des avantages et des inconvénients, tout comme c’est le cas pour un sabre d’une longueur plus courte et donc, cela ne devrait faire aucune différence pour le pratiquant, qu’il utilise un sabre long ou court. Idéalement, vous devriez pouvoir utiliser une long sabre de la même façon qu’un sabre court si besoin était, mais également une sabre court qui générera le même effet qu’un sabre long.

Cela s’applique à la vie et à la société en général. Indépendamment de votre statut, de votre entourage, de votre malheur, de votre bonheur, de votre chance, de votre malchance, de votre santé, de votre richesse ou de tout autre aspect de notre existence, il appartient à chacun d’en faire ce qu’il en fait. Toute chose bonne ou mauvaise peut être perçue comme le bonheur ou la tristesse selon la façon dont vous décidez de gérer la situation. Ce morceau de sagesse a été entouré pendant longtemps et même Mencius a affirmé un jour : « Le bonheur et le malheur sont des choses que vous apportez à vous-même ».

En ce qui concerne cela, je veux maintenant attirer votre attention sur la façon dont chotan-ichimi se rapporte à ippon-me et nihon-me et au « cœur n’appartenant à aucun sabre » (muto no kokoro) du troisième et dernier kata kodachi. J’aimerais vous citer Sasamori Junzo et ce qu’il a écrit concernant l’essence de l’Itto-ryu et ce concept important de chotan-ichimi, car il se rapporte également au kata de kendo moderne.

CHOTAN ICHIMI

« Les hommes de trempe moyenne pensent à tort qu’une arme longue est avantageuse par rapport à une arme plus courte, mais les grands hommes comprennent le concept de chotan-ichimi, où long et court sont réalisés comme une seule et même chose ». En d’autres termes, la longueur du sabre est essentiellement déterminé par les forces ou les faiblesses du cœur. Alors que nous nous efforçons d’aiguiser notre esprit avec la lame de test de l’autoréflexion, nous réalisons que dans nos cœurs résident des forces et des faiblesses, des vertus et des défauts. Ceux-ci coexistent en chacun de nous. Ce sont le cho (longueur - force) et le tan (court - faiblesses) de notre cœur. Ils sont inévitables et coexistent en harmonie. Ainsi, en ce sens, il est vain de s’interroger sur les avantages de la longueur de son arme. Que vous accomplissiez un voyage de dix mille miles ou que vous vous embarquiez pour une éternité durable, dans la façon de penser de l’école itto-ryu, tout cela revient au même. Il n’y a pas de différence. De même, quelle que soit la longueur de la lame, si trois pouces ou six pouces de la pointe s’enfoncent dans l’ennemi, cela suffit à le tuer. C’est bien sûr la même chose du point de vue de l’ennemi. Par conséquent, arrêtez de vous focaliser sur la longueur de l’arme. Jetez-vous entièrement et de manière désintéressée dans l’attaque et vous atteindrez votre objectif. La seule façon d’anéantir votre ennemi est de vous mettre également au bord du gouffre. En faisant cela, la longueur de votre sabre sera en accord avec la force et les faiblesses de votre cœur, le long deviendra court si nécessaire, et le court deviendra long. Une compréhension claire sera alors perçue que long et court, fort et faible sont un tout et sont inextricablement liés.

MUTO NO KOKORO (Le cœur « sans sabre »)

Le sabre est contrôlé par le cœur et ce dernier n’est en aucun cas influencé par le fait que le sabre soit court ou long. Le cœur contrôle le sabre, qu’il soit court ou long sans distinction. Si l’ennemi tient un sabre long et que vous tenez un sabre court, l’esprit ne devrait pas s’attarder sur ce fait, mais partez du principe que vous n’avez pas de sabre du tout. Lorsque l’ennemi s’approche et que vous êtes tous deux consumés par l’odeur imminente de la mort, saisissez sans hésiter l’occasion de vous jeter corps et âme sur votre ennemi et, sans même reculer d’un pas, avancez jusqu’à lui, saisissez son essence même et détruisez-la. C’est de cette façon que vous pourrez facilement battre un sabre plus long. Si vous et votre ennemi possédez des sabres courts, lancez tout votre corps dans l’initiative de l’attaque, mais assurez-vous de vous éloigner rapidement après l’avoir terminée. En résumé, « court » est le point de départ de « long » et le manque de longueur poussé à son paroxysme n’est rien du tout ou mu. Oublier que court est la source de long tout en s’engageant dans un combat avec un ennemi utilisant une arme plus longue est folie, mais tirer parti du fait que court est la source et avoir la capacité d’utiliser court pour réprimer long démontre une très grande sagesse. Le cœur « sans sabre » est l’aspiration définitive du chotan-ichimi.

Ceci, je crois, s’applique également au kendo moderne.

Examinons ensuite un concept clé de l’art et de la culture japonaise. Shin-gyo-so est la philosophie ou le concept de déformation des formes et est largement utilisé dans les arts japonais tels que le shodo (calligraphie), le jardinage japonais, l’ikebana (arrangement floral). Shin est la vraie forme, so est la forme réduite à sa plus simple expression, gyo est la forme qui se situe entre ces deux premiers concepts. En d’autres termes, il y a une évolution, depuis la forme parfaitement établie jusqu’à une liberté complète d’expression de cette forme. Ippon-me est associé au concept de shin et signifie gi ou droiture morale. Nihon-me correspond au gyo et implique la compassion (jin). Sanbon-me correspond à so et évoque la bravoure ou la valeur morale (yu). Si vous regardez le kodachi kata, vous pouvez voir clairement cette même évolution, en commençant par observer le kamae et, de la même façon, les derniers coups.

Shin-gyo-so

Kodachi Ippon-me – Shin : L’adversaire est tué en un coup

Kodachi Nihon-me – Gyo : L’adversaire est tué après avoir été contrôlé

Kodachi Sanbon-me – So : L’adversaire est contrôlé, en ressort vaincu mais vivant

Sato Ukichi a écrit longuement sur la signification du shin-gyo-so en kendo dans son livre simplement intitulé Kendo. Il a souligné que les concepts de shin-gyo-so faisaient partie intégrante de l’art du sabre japonais depuis de nombreux siècles et que c’était également un aspect important du kendo kata moderne. En termes simples, shin correspond à prendre un kamae correct, à ne pas céder d’un pouce et à garder sa garde impeccablement solide, ainsi que d’appliquer une pression incessante sur l’adversaire pour finalement terminer la rencontre par une attaque percutante. Gyo fait référence au niveau superieur où la même chose est appliquée, mais le coup final est retardé après avoir évité l’attaque de l’adversaire. Enfin, So correspond à l’acte d’avoir l’air si détendu que vous ne semblez même pas avoir besoin de prendre le kamae. Puis, marchant courageusement vers un assaut imminent, la violence de l’adversaire est contrecarrée puis il est vaincu mais pas tué.

En kendo, il y a un enseignement bien connu appelé Shu-ha-ri.

Shu fait référence à l’acte de maintenir avec diligence tous les enseignements de votre école de maîtrise du sabre et de s’efforcer de maîtriser les secrets les plus profonds qui sont la véritable essence de l’école. Ha fait référence à l’action d’utiliser les principes maîtrisés dans sa propre école et de tester et de comparer leur efficacité face à d’autres écoles traditionnelles. Dans ce processus, il faut s’efforcer d’apprendre de nouvelles connaissances auprès de nombreux adversaires différents dans une tentative d’atteindre un niveau supérieur. Dans la phase finale de Ri, il faut dépasser toutes les frontières des écoles individuelles et devenir la personnification même des principes du sabre. Ces étapes correspondent à shin-gyo-so.

Shu = Shin Ha = Gyo Ri = So

Les Japonais d’autrefois accordaient beaucoup d’importance à ces principes, dans de nombreuses autres facettes de la culture et de la pensée traditionnelles. En effet, de nombreuses leçons peuvent être tirées d’une telle sagesse et encore appliquées dans la vie de tous les jours par nous, les contemporains. En ce sens, il est important que nous puissions utiliser le kendo à son plein potentiel en ayant une compréhension de ces principes qui soutiennent la philosophie du kendo kata. C’est là que nous pouvons nous embarquer dans le -do, la voie du kendo.

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